Nous voici arrivé au terme de ce marathon dédié à notre plus récent coup de cœur. Mais nous concluons en beauté avec cet entretien que l’auteur de la trilogie du Prince Captif a bien voulu nous accorder.
C.S. Pacat nous était déjà sympathique avant qu’on l’interroge, mais maintenant, on l’adore carrément. Ses réponses apportent beaucoup à la lecture du récit de Damen et Laurent et elles permettent de découvrir les coulisses de la création de cette épopée. Évidemment, l’auteur nous tease aussi le tome 3… ainsi que ses autres projets !
Rappelons enfin que les deux premiers tomes de Prince Captif, L’Esclave et Le Guerrier sont maintenant disponible en librairie et en numérique. Sur ce, bonne lecture !
Photo : Alise Black
Bonjour. Pourriez-vous vous présenter aux lecteurs francophones qui ne vous connaissent pas encore ?
Bonjour ! Je suis C.S. Pacat, et je suis l’auteur de la série de Fantasy homo-érotique Prince Captif. Je suis une passionnée d’histoire médiévale et une véritable geek.
Il y a encore quelques mois, vous étiez un écrivain amateur qui disposait d’une communauté assez large. Aujourd’hui, vous êtes publiée (ou bientôt publiée) dans plusieurs pays qui se sont arrachés les droits de votre trilogie et vos lecteurs sont toujours plus nombreux. La question est facile… mais comment réagissez-vous à cette aventure ?
Je suis extrêmement heureuse, et complètement abasourdie en même temps. C’est l’expérience la plus extraordinaire que j’aie jamais vécue. La réaction des lecteurs à mes livres m’a complètement bouleversée. J’ai l’impression de vivre un rêve, dans le meilleur sens du terme.
Pouvez-vous nous résumer de quelle manière en êtes-vous arrivée là ? Avez-vous soumis votre texte à des éditeurs parallèlement à sa publication en ligne, ou est-ce qu’on est venu à vous ?
J’ai commencé à écrire Prince Captif en tant que feuilleton en ligne, gratuitement. Ça a duré environ trois ans, et la série a gagné en popularité par le bouche à oreille, passant d’environ six lecteurs à des dizaines de milliers de lecteurs qui suivaient de près la publication de chaque chapitre.
Je n’avais jamais envisagé de faire de Prince Captif un livre, mais de nombreux lecteurs m’ont demandé d’en faire des exemplaires papiers, donc je me suis auto-publiée à partir de la plateforme d’Amazon. Et la série a décollé. En vingt-quatre heures, elle apparaissait en tête de liste dans plusieurs catégories d’Amazon, et le bouche à oreilles tournait à plein régime sur des blogs et des sites comme Goodreads, à tel point que des médias plus conventionnels ont commencé à s’y intéresser. Je crois que le premier journal d’importance était USA Today, qui a publié une critique très élogieuse.
Peu après, un agent littéraire de New York m’a contactée en me disant : « J’aimerais travailler avec vous. Je pense qu’on peut vendre votre série à une grande maison d’édition. » Je n’y croyais pas vraiment, mais je suis optimiste et j’ai accepté. Deux éditeurs nous ont fait une offre, et la meilleure était celle de Penguin.
Aujourd’hui Prince Captif est publié et traduit dans plusieurs pays à travers le monde. Cette dernière année a été incroyable.
Si je ne m’abuse, vous fréquentiez plusieurs fandoms, aussi bien en tant que lectrice qu’en tant qu’auteur. Lesquels ?
Oui, j’ai lu et écrit des fanfictions pendant mon adolescence. J’adore qu’une histoire m’emporte, me permette de m’échapper de la réalité. J’écrivais surtout dans les années 1990, donc dans des « vieux » fandoms : X-Files, Star Trek, pas mal de fandoms japonais, comme CLAMP et les animes de l’époque, Tokyo Babylon, Utena, Gundam, Fushigi Yuugi… Et Harry Potter, bien sûr. Harry Potter est éternel.
Et quels sont les auteurs que vous suivez ?
Mon auteur préféré est Dorothy Dunnett, je relis l’une de ses séries au moins une fois par an. Sinon, je lis beaucoup et de tout. Je viens d’acheter Le Chardonneret de Donna Tartt, La Justice de l’ancillaire d’Ann Leckie, La brève et merveilleuse vie d’Oscar Wao de Junot Diaz, et Prince Lestat d’Anne Rice, un retour à l’une des séries préférées de mon enfance. La facilité avec laquelle Lestat assume sa bisexualité m’a toujours fascinée et cela m’a beaucoup tenu à cœur en grandissant.
Est-ce que votre lectorat initial vous a suivi dans cet œuvre originale ?
Au début, je n’ai dit à personne que j’écrivais Prince Captif. L’idée de ce nouveau projet, et de me lancer dans l’écriture d’un roman, était assez effrayante. Je me suis choisie un nouveau pseudonyme et j’ai gardé l’anonymat. Le lectorat de Prince Captif était donc composé de nouveaux venus, et s’est agrandi petit à petit. Plus tard, j’ai mis quelques amis dans la confidence, et ils ont m’ont apporté un très grand soutien. Dans les fandoms les gens sont toujours prêts à vous soutenir et vous encourager.
Qu’est-ce qui vous a poussé à franchir le pas vers une histoire inédite, justement ?
J’ai toujours voulu écrire des romans, mais je n’avais pas confiance en moi. J’ai commencé à écrire des fanfictions à l’adolescence, parce que c’était une communauté extrêmement ouverte et accueillante, et c’était beaucoup moins impressionnant que d’écrire un roman. J’ai fait quelques tentatives, mais ça ne marchait jamais vraiment.
Puis je suis partie étudier en Italie, où j’ai rencontré ma famille italienne. J’ai une relation complexe avec ma famille, et cette période a été très intense pour moi, comme si je m’enfonçais dans le cœur des ténèbres, dans le cœur de toute chose et que je m’y confrontais. Ma réaction psychologique a été extrêmement forte et je me suis mise à écrire des fanfictions de façon compulsive. Pour la première fois, je me suis rendu compte à quel point j’étais investie dans ces histoires, et ça a été le déclic : si c’était l’expression de ma personnalité, je voulais le faire de la façon la plus véridique possible, la plus fidèle à moi-même.
J’ai suivi les pas d’auteurs issus des fandoms, comme Naomi Novik, Sarah Rees Brenan ou Cassandra Claire. C’étaient des pionnières, elles ont tracé un chemin que je me sentais capable de suivre entre la sphère des fans et celle des auteurs de romans.
Quels avantages représentait pour vous la publication en ligne ?
Le fait que la publication en ligne ne soit pas, ou peu, reconnue par la publication commerciale en fait un outil artistique très intéressant. Ça permet un niveau de créativité qu’on ne se permet que lorsqu’on croit que personne ne nous regarde. Quand on sait que d’autres gens vont voir, ou qu’il y a de l’argent ou de la crédibilité à la clé, ou même simplement le désir d’être publié pour le grand public, il y a une pression qui nous influence. Les fandoms en ligne évoluent depuis plus de vingt ans sans surveillance et sans limites, et on se permet de raconter des histoires dont on ne parlerait pas en public.
Votre histoire déchaîne les passions (y compris au sein de notre maison d’édition). Quelle est la plus belle chose qu’on vous ait dit à propos de Prince Captif ?
Je suis toujours très émue quand des lecteurs me disent que mes romans ont joué un rôle clé dans l’acceptation de leur sexualité, ou à quel point ils apprécient l’existence de héros bisexuels drôles et ambitieux, parce qu’ils manquent de représentation. Ce genre de commentaire me touche toujours énormément.
Parlons de votre roman. Comment l’histoire du Prince Captif est née ? Qui de Damen ou de Laurent a toqué en premier à la porte de votre imagination ?
Je voulais écrire le roman que j’avais envie de lire. J’adore les escapades hautes en couleur, l’aventure, les combats à l’épée, l’amour, les intrigues politiques, des enjeux démesurés, ainsi que l’homo-érotisme et les thèmes du sexe, du pouvoir et de la sexualité.
J’adore les princes. Pas au sens des princes de conte de fées, mais parce que les princes sont des personnes en devenir, et pour être roi, ils doivent prendre la place de quelqu’un. La notion d’éviction, de prise de pouvoir est un thème qui me tient vraiment à cœur. L’idée d’un prince devenant esclave m’a immédiatement enflammé l’imagination.
Damen a été le premier à prendre forme. Je voulais un héros classique, un prince guerrier et noble, et je voulais explorer les limites d’un tel personnage. J’ai mis plus longtemps à créer Laurent, mais une fois que c’était fait, j’avais tout le reste.
Vos deux premiers volumes ont chacun leur ton et leur cadre. Était-ce prémédité ?
Je voulais que le premier tome se déroule au sein d’une cour, avec toutes les intrigues que cela suppose, un huis-clos à la fois intime et confiné. Il était important que l’ennemi vienne de l’intérieur, plutôt que de l’autre côté de la frontière. D’une certaine façon, c’était une métaphore pour l’antagoniste de la série, la façon dont il contrôle les relations de chacun et dont il inflige des dégâts.
Dans le deuxième tome, les personnages, Laurent en particulier, s’éloignent physiquement de la cour, et commencent simultanément à s’affranchir émotionnellement de son influence. Leur voyage vers la frontière de leurs deux pays est une métaphore de leur rapprochement, de la façon dont ils tentent de trouver un terrain d’entente. Et j’adore les combats et les courses-poursuites sur les toits : c’était une bonne excuse pour pouvoir en écrire.
De par la focalisation centrée sur Damen, on a l’impression de connaître parfaitement celui-ci, puis de comprendre Laurent. Pourtant, j’ai comme l’impression qu’ils conservent une part de mystère pour les lecteurs, que vous en savez plus sur eux que vous ne voulez bien le dire…
Damen et Laurent ont chacun des secrets qui surprendront l’autre – et le lecteur. J’espère que leur révélation sera magistrale et que personne n’aura deviné avant.
Nous avons relevé quelques patronymes français ou grecs parmi vos personnages. Était-ce simplement pour le clin d’œil ou l’Europe vous a-t-elle inspirée d’une quelconque façon ?
La Fantasy est très influencée par l’histoire européenne, surtout anglo-européenne. Je m’intéresse beaucoup plus à l’histoire franco-européenne et méditerranéenne. Mon héritage sud-italien me pousse en particulier à m’intéresser aux cultures du bassin méditerranéen, et la Grèce m’a beaucoup influencée pour Akielos.
Je suis également fascinée par l’histoire française, en particulier le xive et le xve siècle, et j’ai rassemblé pas mal de documents historiques sur cette période. Tous les noms français de la série ont été empruntés à un recensement parisien du xve siècle dont j’ai un exemplaire et qui a fait travailler mon imagination au début du processus d’écriture. L’architecture, les pratiques militaires, même la chasse au sanglier ont été tirés de recherches historiques datant de cette période.
À la lecture de vos deux livres, on a l’impression que vous avez tout prévu. Que, tout comme Laurent qui tire une ficelle après l’autre, vous savez où l’essentiel de cette intrigue mènera. Êtes-vous du genre à étaler une armée de post-its sur un tableau ou est-ce que toute cette histoire a coulé naturellement sur le papier ?
Je suis une maniaque de l’organisation, et j’avais tout prévu à l’avance. Il y a quand même eu des fois où l’histoire m’a surprise, a pris spontanément des directions inattendues. Je considère que c’est l’histoire qui me fait savoir ce dont elle a besoin, même au détriment de mes plans bien détaillés.
Votre style est ciselé et très visuel. (Je pense tout particulièrement à la dernière scène du tome 2, qui à une ampleur folle.) J’imagine que vous avez passé beaucoup de temps à le travailler ?
Je pense que la visualisation est un outil extrêmement puissant. J’essaie de prévoir ces moments visuels à l’avance et de les construire de la même façon que je construirais une scène d’action. Parfois j’utilise des images de référence et parfois je ne me sers que d’une feuille de papier et d’un crayon. J’aime essayer de trouver ce qui rend une scène visuelle.
Les livres diffèrent des films au sens où l’action visuelle n’est pas continue, même si on en a l’impression. Les romans sont un peu comme des bandes dessinées, on décrit une série de moments visuels individuels et c’est le lecteur qui comble les « trous » entre les cases. C’est le lecteur qui crée le film, à l’intérieur de sa tête. C’est pourquoi il est important d’utiliser un style clair et précis, afin de créer des moments visuels aussi riches et évidents que possible.
Le premier tome est un huis-clos, le deuxième suit une campagne militaire. À quelle ambiance peut-on s’attendre dans le tome 3 ?
Le troisième tome est tout simplement épique, et l’ambiance sera encore différente. Alors que la série touche à sa fin, les personnages vont enfin accomplir leurs destins. Vous découvrirez également plus de détails sur Akielos et sa culture.
On ne va pas demander qui est vôtre chouchou entre les deux protagonistes, mais est-ce que vous avez le sentiment que l’un est plus populaire que l’autre, parmi vos fans ?
Étonnamment, c’est assez équitable ! La répartition est à peu près cinquante-cinquante. Je pense que c’est parce que les personnages sont aussi différents l’un de l’autre. Ce sont des archétypes complètement opposés et les lecteurs reflètent cette distinction.
Outre les deux principaux, votre histoire met en place une petite galerie de personnages qu’on apprend vite à apprécier (ou à détester). Le Régent, Nicaise, Jord… avez-vous le même rapport avec eux qu’avec Damen et Laurent ?
J’ai une relation très proche avec mes personnages principaux, et je soupçonne que c’est le cas de tous les auteurs. En ce qui concerne les personnages secondaires, c’est un peu plus varié : je peux les aimer ou non, ou ne rien ressentir à leur égard. J’ai des préférés, bien sûr : Nicaise et Jokaste, par exemple. Et il y a certains personnages que je déteste d’un point de vue personnel, mais que j’adore d’un point de vue d’écrivain car ils apportent du dynamisme à l’action, comme Govart et le Régent.
Le prochain volume sortira directement en librairie. Qu’est-ce que cela change, pour vous ?
D’un point de vue artistique c’était extraordinaire. Ça m’a permis de faire bien plus que ce que je pouvais faire en publiant les chapitres de façon épisodique. Même dans le cas d’une maniaque de la planification comme moi, on peut s’enfoncer dans des culs-de-sac et passer des jours entiers à s’en dépêtrer, parce qu’on en peut pas changer ce qui a déjà été publié. Pouvoir écrire un premier jet en entier et puis revenir dessus et le corriger, en ajoutant et en améliorant au passage, a été une véritable révélation.
Mais je me suis sentie très seule. Je me suis rendu compte à quel point j’avais été privilégiée de pouvoir écrire au sein d’une communauté de lecteurs qui m’ont accompagnée tout au long du projet. Pour la première fois, je me suis retrouvée seule à écrire, face à mon histoire comme tant d’autres auteurs, heure après heure, mois après mois, parfois pendant des années. Tous mes lecteurs m’ont manqué !
Quels seront vos projets, après la sortie du tome 3 ?
Ma prochaine série sera du young adult. Ce sera de la Fantasy, avec de la magie et des personnages LGBTQI, avec des personnalités très différentes, ce qui est pour moi un point important. J’adore les romans qui me permettent de m’évader avec de l’action et des personnages avec des relations intenses. Par certains côtés, cette série ressemblera à Prince Captif : les relations entre les personnages seront toujours à la fois intenses et pleines de tension.
J’ai aussi un mini-projet en relation avec Prince Captif, mais je ne peux pas encore le révéler. Je suis extrêmement impatiente, et je vous en parlerai dès que possible. Restez à l’écoute !
Enfin, une question rituelle : pouvez-vous résumer Prince Captif… en seulement trois mots ?
Deux princes amoureux !
- Introduction
- Partie 1 : Qui est C.S. Pacat ?
- Partie 2 : L’histoire
- Partie 3 : Pourquoi c’est extraordinaire et addictif ?
- Partie 4 : Le phénomène en marche… et la suite ?